Depuis l’élection de Trump, nous assistons à une recrudescence d’articles et de prises de position alarmistes concernant son retour sur la scène politique. Ce personnage, qui a laissé une empreinte indélébile lors de son mandat précédent, nous est familier, tant par ses déclarations fracassantes que par son approche souvent tumultueuse de la présidence. Chacun se souvient de ses punchlines emblématiques et de sa capacité à tourner les événements à son avantage, entraînant avec lui une frénésie médiatique. L’avenir nous dira mais au moins, nous savons à quoi nous attendre.
Quand je ne potasse pas les stratégies de communication et n’analyse pas des politiques sanitaires, je m’autorise du temps pour lire et je me perds volontiers dans mes lectures, un véritable refuge et une source d’enrichissement pour me déconnecter avec le boulot. J’ai une affinité particulière pour les œuvres qui osent briser les normes et bousculer les pensées reçues. J’ai tourné les pages de livres comme « La Bible n’est pas un livre sacré », « Les putains du diable », et « Les Grandes oubliées ». Je suis même une fervente admiratrice de Margaret Atwood ; comment ignorer « La servante écarlate » dont les femmes auraient augmenté depuis la réélection de Trump ? Ces lectures forment un prisme à travers lequel je perçois notre réalité, et je suis convaincue qu’elles peuvent éclairer notre réflexion sur les événements qui se déroulent sous nos yeux.
Lire est un acte militant et politique
Si cela peut surprendre certains, saviez-vous qu’aux États-Unis, plus de 6 000 livres ont été interdits en l’espace d’un an ? Aussi, durant l’année scolaire 2022-2023, plus de 3.000 ouvrages ont été retirés des bibliothèques, que ce soit dans les écoles, les universités, ou encore dans les établissements publics. Les thèmes touchant au féminisme, à l’antiracisme et aux enjeux LGBTQIA+ sont particulièrement visés, notamment dans des États comme l’Utah et le Texas. Cette inquiétante tendance, qui ne date pas d’hier, est en train de prendre une ampleur alarmante, faisant peser sur les voix dissidentes un poids de plus en plus lourd. La volonté de réduire au silence les récits non conformes s’accentue, alors même que ceux-ci sont essentiels pour une véritable compréhension de notre société. Ce qu’il faut savoir c’est que ce n’est pas une tendance récente. Que ce soit aux Etats-Unis ou ailleurs, la « traque des livres » est un phénomène persistant. Qui n’est pas en soi toujours le fait des politiques : conservateurs, démocrates, même si nous savons qu’ils ont tout intérêt à « réviser l’histoire », sachons que des collectifs existent, des associations de parents d’élèves ou tout simplement un parent ou un citoyen concerné peut se saisir de la question et appeler au retrait d’un livre.
« Banned Books » Kesako ?
Pour peu que vous soyez assidu.e.s sur Instagram, ce terme vous est familier si vous suivez des booktagrameurs.ses anglophones. Le phénomène des « Banned Books » aux États-Unis remonte à une longue histoire de censure d’où s’ancre la lutte pour la liberté d’expression. Des œuvres littéraires ont souvent été contestées pour des raisons de moralité, de représentation culturelle ou d’idéologie politique. La censure scolaire, en particulier, a ciblé des livres traitant de thèmes sensibles comme le racisme, la sexualité et les tensions sociopolitiques. Sur Instagram, des « Banned Books » sont lus, le résumé partagé, et le « banned book » devient ainsi un mouvement visant à dénoncer la censure littéraire, à mettre en lumière ces ouvrages interdits et à inviter chacun à réfléchir sur l’importance cruciale de la liberté d’expression ; qui ne se limite pas aux réseaux sociaux. Cette pratique « tendance » témoigne d’une lutte permanente entre la défense de l’accès à l’information et les tentatives de limiter certains discours dans des contextes éducatifs, historiques et culturels.
Sous l’administration Trump, la censure littéraire avait pris une ampleur préoccupante. Les lois adoptées dans des États comme le Texas et l’Utah ont facilité ce processus, créant un climat de peur parmi les éducateurs, libraires et bibliothécaires.
Petit aperçu de ce qui est interdit aux Etats-Unis. La liste n’est pas exhaustive et j’ai constaté que « La servante écarlate », « Hunger» ou encore « Couleur pourpre», « Harry Potter» y figurent…
- L’Autobiographie de Malcolm X, Malcolm X et Alex Haley, 1965 (Grove Press)
- Beloved, Toni Morrison, 1987
- Bury My Heart at Wounded Knee, Dee Brown, 1970
- L’Appel de la forêt, Jack London, 1903
- Catch 22, Joseph Heller, 1961
- L’Attrape-cœurs, J.D. Salinger, 1951
- Fahrenheit 451, Ray Bradbury, 1953
- Pour qui sonne le glas, Ernest Hemingway, 1940
- Autant en emporte le vent, Margaret Mitchell, 1936
- Les Raisins de la colère, John Steinbeck, 1939
- Gatsby le Magnifique, F. Scott Fitzgerald, 1925
Les « banned books » un danger pour les Noirs aux Etats-Unis
Les« Banned Books » issus de la littérature afro-descendante et de la communauté afro-américaine soulèvent des enjeux cruciaux concernant la représentation, l’identité et la transmission des récits historiques. Les ouvrages écrits par des auteurs afro-américains, souvent profondément ancrés dans les réalités sociales et politiques, sont fréquemment ciblés par des efforts de censure. Ces livres, qui abordent des thèmes comme l’esclavage, le racisme, l’oppression et la quête d’identité, la condition des femmes noires dans une société raciste, patriarcale et capitaliste, sont souvent perçus comme menaçants par ceux qui souhaitent préserver un statu quo de privilèges et de domination. En interdisant ces récits, on s’attaque non seulement à la liberté d’expression, mais on efface aussi une part importante et incontournable de l’histoire américaine, niant ou minimisant ainsi la valeur des expériences vécues par des générations de Noirs américains. On se souvient des discours vantant les avantages de la colonisation partout où elle est passée tout en diminuant les drames humains, les injustices sociales, les viols, les divisions, etc. Si on applique l’effet papillon à ceci, je vous laisse imaginer les répercussions….
Les conséquences de cette censure sur les jeunes générations sont particulièrement alarmantes. Cette censure contribue à l’invisibilité de leurs histoires, rendant difficile une compréhension globale et nuancée des luttes et des contributions de la communauté afro-descendante. En limitant l’accès à des œuvres emblématiques comme « Beloved » de Toni Morrison ou « Invisible Man » de Ralph Ellison, on prive aux élèves la possibilité de se connecter à des récits qui reflètent leurs luttes et leur culture. Ces livres sont cruciaux pour nourrir une réflexion critique sur les injustices systémiques et favoriser un dialogue ouvert sur les questions raciales. La censure ne vise pas seulement à supprimer des mots, mais à étouffer des idées et des voix.
Une mobilisation et une résistance existent
The « Banned books week » ou la Semaine des livres interdits est un événement annuel qui célèbre la liberté de lire et met en lumière les dangers de la censure. Elle a été fondée en 1982 par Judith Krug, une militante du Premier Amendement et des bibliothèques. Comme je vous disais le phénomène ne date pas d’aujourd’hui. Cet événement a été créé en réponse à une augmentation du nombre de livres contestés dans les bibliothèques, les librairies et les écoles.
La semaine se déroule généralement la dernière semaine de septembre, du 22 au 28 septembre, et vise à attirer l’attention sur les livres bannis et contestés, ainsi que sur les personnes persécutées pour leurs écrits. Elle rassemble des bibliothécaires, des éducateurs, des auteurs, des éditeurs, des libraires et des lecteurs autour du soutien de la liberté de rechercher et d’exprimer des idées.
Cet élan collectif souligne l’urgence de défendre nos droits fondamentaux et de célébrer la richesse de la diversité des pensées, dans un monde qui semble parfois vouloir les uniformiser à tout prix.
Personnellement, je me sens résistante mais aussi privilégiée d’avoir pu lire certains de ces livres « stamped banned ». Je me sens également comme mon papa qui me racontait qu’en son temps, certains livres s’achetaient sous le manteau. Nous n’en sommes pas encore là mais n’est-ce pas grisant d’avoir dans ses mains un livre dont la lecture est interdite sous d’autres cieux. Je puis vous assurer que je ferai la chasse de ses livres interdits, les traquant partout où je pourrais pour les acheter et les lire. 😉
Les avez- vous déjà lus ? En avez-vous?